L’humiliation

La violence dite éducative est pratiquée depuis des millénaires dans le monde entier dans le but d’éduquer l’enfant. La majorité des enfants dès leur première année de vie subissent des humiliations verbales et physiques. Sortir de cette violence est un enjeu majeur de santé publique car ces conséquences sont désastreuses pour le cerveau de l’enfant, son développement global et ont donc un retentissement très délétère sur la société tout entière. Sortir de cette violence faite aux enfants est une véritable révolution éducative qui nécessite une formation et un accompagnement approfondi de tous les professionnels de l’enfance.

La loyauté est un moteur, une source positive d'échanges dans la durée, et non pas un fardeau, comme on l'entend très fréquemment. Dans l’approche contextuelle d’I. Boszormenyi-Nagy, l'exercice de loyauté est une source de légitimité constructive, une force de vie et de réciprocité. Elle devient fardeau si son mouvement est entravé ou exploité.

L’enfant ou l’adolescent, face à l’humiliation d’un parent, vit un appui sur sa loyauté. Tôt ou tard, l'enfant-adolescent-adulte cherche à réhabiliter son parent humilié, par des actes démontrant qu'il n'est/n'était pas si raté ou monstrueux qu'on le pensait, ou qu'on lui laissait penser. Car être l'enfant d'un humilié, c’est porter en soi des traces d’humiliation.

Si cela est possible, la réhabilitation du parent se fait à travers une loyauté directe ou indirecte (en prenant sa défense, à travers un roman, un film, etc.) Lorsque ce mouvement est contrarié, il prend éventuellement le chemin d'une loyauté invisible, qui encourt davantage de risques de dommages collatéraux, pour les autres et pour lui-même.

Nous verrons comment toutes ces notions issues de l'approche contextuelle prennent sens et densité au coeur même de cette approche, et comment le thérapeute contextuel les travaille dans le dialogue de l'éthique relationnelle.

On parle peu d’humiliation dans le champ psy. Peut-être parce que nos patients l’évoquent rarement. Les attitudes et propos dégradants dont ils ont pâti ont attenté à leur dignité, à leur amour-propre. Alors, ils ont honte et se taisent. Si, dans un premier temps, la blessure cuisante de l’humiliation musèle, laissant les victimes seules et impuissantes, on sait qu’elle va couver, nourrir une rage et des désirs de vengeance susceptibles de déferler par la suite sur des victimes innocentes : c’est l’ardoise pivotante. Combien d’enfants harcelés à l’école ne se vengent-ils pas sur leurs petits frères ou sœurs ? L’impact de l’humiliation peut aussi se manifester des années plus tard, comme une bombe à retardement, souvent à l’occasion d’un contexte frustrant et anxiogène. Durant la crise sanitaire, nous avons vu dans nos cabinets de consultation de nombreux parents, eux-mêmes humiliés dans leur enfance, répéter à leur grand dam les mêmes paroles insultantes à leurs enfants. Ainsi, ces traumas complexes ne minent pas seulement l’estime de soi, mais aussi la confiance dans le lien et dans les autres, parfois sur plusieurs générations. Comment permettre l’expression de ces vécus douloureux ? Comment les soigner et rompre la spirale de « légitimité destructrice » ? Des situations cliniques l’illustreront, que ce soit en thérapie familiale ou de groupe comme celui pour les auteurs d’infractions à caractère sexuel dont l’histoire est jonchée d’humiliations.

Nul besoin de chercher bien loin pour appréhender le sentiment d’humiliation que vivent les familles bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfant. Toutefois, de nombreux professionnels dont les modalités d'intervention sont à l’origine de ces sentiments pourraient être surpris à en prendre la mesure.  Ils s’en défendraient sûrement, protestant que ce ne sont pas leurs intentions. En effet, l’humiliation est avant tout anthropologique, contextuelle et systémique. Diffuse, banale et implicite, il n’est pas facile de l’identifier, de la caractériser et de la nommer. Pourtant, à considérer l’humiliation comme un rabaissement qui advient dans un contexte relationnel de puissance inégale conduisant l’humilié à ressentir une souffrance psychique qui altère son image et sa dignité au travers d’action, d’oppression, d’agression et d’abus, on perçoit aisément comment cela concerne les parents et les enfants en protection de l’enfance. Pas d’intention d’humilier, mais une forme de distance protectrice qui à son insu exprime, le mépris et la condescendance de la légitimité à servir l’intérêt supérieur de l’enfant face à ceux qui lui sont « toxiques ». L’arrogance du sauveur qui protège à bon droit l’enfant victime de son parent bourreau. Cette structure relationnelle bien connue, ne suffit pas à nous préserver de ces relations mortifères, tant certaines formes symboliques des sociétés contemporaines, construisent et renforcent la légitimité humiliante du protecteur et le sentiment d’humiliation du parent : individualisme narcissique, sacralisation de l’enfance, surinvestissement narcissique de la parentalité, poids de la victime, bureaucratisation de l’aide sociale et technicisation de l’accompagnement, distance pour se protéger de l’autre…

À partir de l’anthropologie clinique, nous rechercherons des alternatives relationnelles, en nous appuyant sur le concept de processus de parentalité empêchée et de pourvoyance des besoins de l’enfant. Ces deux concepts nous permettront de retrouver une forme de considération à l’égard des parents et d’humilité face l’intérêt suprême de l’enfant, pour inventer d’autres pratiques d’accompagnement.

Quitter son pays pour un autre, changer de langue, se retrouver dans un monde inconnu qui pense parfois et agit autrement, tout cela est une expérience à la fois universelle mais aussi complexe. Les personnes se retrouvent en minorité et à ce titre et parce qu’elles incarnent des différences, elles sont souvent sujettes à humiliations. Comme si différence voulait dire de manière fausse et abusive hiérarchie. Nous montrerons comment il est important de reconnaître ces différences aussi bien pour la première que la seconde génération et de faire de cette altérité, une chance pour aujourd’hui et pour demain, pour les migrants et leurs enfants, pour les migrants et ceux qui les accueillent.

Alors que le phénomène de l’humiliation est omniprésent dans les relations humaines et qu’il a les effets les plus dévastateurs qui soient, il s’agit d’un thème encore trop peu étudié aujourd’hui dans les sciences humaines et sociales. En psychologie, il est trop souvent confondu avec la honte alors qu’il ne recouvre pas forcément la même expérience. En s’appuyant sur plusieurs décennies de recherches, sur son expérience de psychologue clinicienne et sur les leçons de l’histoire, Evelin Lindner illustrera les différences entre humiliation d’honneur et humiliation de dignité. Elle montrera pourquoi la dignité est un concept spécifique qui ne peut se résumer ni à l’autonomie, ni au respect, ni à la fierté.

De nos jours, la promesse contenue dans les idéaux des droits humains offre à chacun le droit inconditionnel d’être considéré comme égal en dignité du seul fait d’être né en tant qu’être humain. Cette promesse est pourtant très souvent trahie, et lorsque cela se produit, cela peut provoquer une douleur extrême, que l’on peut appeler « la bombe nucléaire des émotions. ». Cette douleur peut déclencher la haine et la violence et aller jusqu’à la terreur, la guerre ou le génocide. À l’inverse, les sentiments d’humiliation liés à la dignité peuvent également conduire à des formes extrêmes de dépression endurées dans le silence.

Puisant ses exemples autant dans la géopolitique mondiale que dans l’intimité des relations, cette spécialiste mondiale de l’humiliation illustrera comment il importe aujourd’hui de s’engager dans des pratiques de rétablissement de la paix et de construction de ponts inclusives et porteuses de dignité pour tous. Elle s’adressera aux travailleurs de terrain que nous sommes, confrontés à l’humiliation au cœur de nos pratiques, mais aussi à chacun de nous en tant qu’êtres humains concernés par l’avenir gravement menacé de notre planète.

Cette conférence est pré-enregistrée et sera projetée en vidéo.

L'enfance, ce sont les commencements du sujet parlant, qui demande à croire sur parole et à être tenu pour crédible, mais qui sait très tôt aussi que les mots parfois ne sont heureusement que des mots. Il y a cependant des mots qui blessent, qui font rougir de honte ou pâlir de colère, mais qui font taire. Le propre de l’humiliation est en effet de faire taire, et de laisser derrière elle une parole dérisoire et cynique, ou bien une parole en demande folle de crédit, d’un peu de considération. Si l’enfance est l'apprentissage de réalités parfois difficiles, c’est dans l’enfance que s’installent pour longtemps des blessures d’humiliations, portes ouvertes à leur manipulation ultérieure. L’éducation au jeu et à l’humour est essentielle à la confiance en soi et en l’autre, à l’estime de soi et au respect des autres.

Dans nos domaines, les humiliations ne sont pas marginales, mais systémiques. Nous sommes tous concernés. Si elles blessent les familles migrantes, elles touchent en réalité tout parent et tout enfant considéré autre, quelle que soit cette altérité, tout enfant et tous parent ne pouvant compter sur notre approbation de leur essence humaine.

Le caractère systémique de l’humiliation, dans notre monde, est lié à divers facteurs : notre formatage par le modèle des déficits (l’autre est caractérisé par ses manques), le déni de nos pertes de sens, notre immersion dans un monde fondé sur la Maîtrise, nos défenses contre la honte.

Les conséquences pour les enfants, les jeunes et les générations de demain sont dramatiques : double marginalisations (sur le modèle de celle des jeunes migrants) avec son lot de violences et de morts, anéantissement de leur pouvoir dire et de leur pouvoir agir. Ce dont justement ils ont cruellement besoin aux heures du covid, de la guerre en Ukraine et des désordres climatiques.

Jean-Claude Métraux esquissera des pistes pour enrayer cette machine à humiliations et mépris, dont une pédagogie émancipatrice et déconfinée ainsi qu’une approche communautaire participative radicale. Ces pistes n’iront pas pour nous sans douleur. Mais au moins contribuerions-nous ainsi, si ce n’est à créer un autre monde, du moins à freiner la descente du nôtre vers les abîmes.

Si un colloque choisit de sortir les humiliations du placard, cela signifie déjà que nos dénis se fissurent. Et c’est encourageant.

Commenter, échanger, liker, poster des contenus de soi et des autres… rien de plus banal au royaume des jeunes.

Que ce soit pour échanger, discuter, partager, flirter, être ensemble, ces médias sont devenus des incontournables de la vie relationnelle, affective et même sexuelle des adolescents et des jeunes adultes.

Pour autant, il arrive que les situations dérapent et génèrent de profondes souffrances. Internet comme ailleurs peut être le terrain de conflits, de règlements de compte, d’humiliations et de stigmatisations. Les formes peuvent varier entre les commentaires misogynes, racistes ou sexistes, les sollicitations inappropriées, les raids punitifs, le harcèlement ou encore du « revenge porn ».

Les jeunes pris au piège de telles situations peuvent développer des formes plus ou moins importantes de troubles psychiques (troubles anxieux, dépressions, tentatives de suicide, phobies scolaires et sociales, etc.). Au-delà des troubles, la honte peut constituer un véritable étau pour toutes les personnes concernées qu’il s’agisse des victimes, des témoins, des auteurs ou des proches.

Cette présentation sera l’occasion de comprendre comment de tels phénomènes peuvent se mettre en place ; quels sont les facteurs de risque et de protection ; à quels enjeux ils répondent et comment les adultes (parents, entourage, professionnels) impliqués auprès des jeunes peuvent intervenir tant dans une démarche d’aide que préventive.

Cette présentation s’interrogera aussi sur le rôle des intervenants : comment maintenir des attitudes bienveillantes, engageantes et responsabilisantes dans ces contextes de crise et de grande détresse.

Enfin, il sera question de la mobilisation des principaux concernés : les jeunes. Comment les inclure dans les dispositifs d’aide et favoriser des usages positifs et protecteurs.

Depuis une trentaine d’années, la question des « relations de travail pathogènes » (RTP) a fait son apparition dans l’espace public. On peut les définir comme des situations génératrices de souffrance et de dysfonctionnement individuels ou collectifs pour des raisons essentiellement liées aux relations de travail.

Au départ, c’est surtout le harcèlement, moral ou sexuel, qui a été l’initiateur de l’intérêt pour cette problématique. Celui-ci a fait l’objet de travaux scientifiques, de dispositions légales, de formations dans les organisations, de campagnes de communication, de diffusion médiatique.

Depuis lors, de nombreuses autres formes de RPT ont été mises en lumière : emprise individuelle et organisationnelle, bizutage, maltraitance managériale, bouc-émissariat, hyperconflit.

Et l’humiliation dans tout cela ? Elle est peu commentée, que ce soit comme forme à part entière ou comme composante d’une des formes précitées. Pourtant, elle pourrait bien constituer un fil rouge entre elles et même les dépasser car l’humiliation au travail peut trouver sa source au-delà de processus purement relationnels. En effet, l’humiliation prend des figures différentes au travail, en miroir de la complexité des milieux professionnels : l’humiliation peut passer par les symboles et signes de reconnaissance dont on est privé ; elle peut passer aussi par des mouvements dans  l’organigramme (rétrogradations, voies de garage), on la rencontre lors de la modification des outils de travail ou des périmètres d’activité, le travail par projets donne aussi lieu à des sentiments de rabaissement selon ceux sur lesquels on est placé, elle se retrouve aussi dans les évaluations qui jalonnent les vies professionnelles.

Au-delà des signes communicationnels directs, le milieu du travail est donc fertile pour générer des processus d’humiliation, parfois explicites et clairement identifiés, souvent implicites, occultes et méconnus. Pouvoir les identifier et les reconnaitre constitue donc un pas important dans la compréhension des souffrances au travail. Cela ouvre vers un travail clinique et managérial qui pourrait bien constituer un des enjeux futurs du bien-être professionnel et de la qualité de vie en général.

La démarche artistique n’est pas une thérapie. Elle touche les mêmes zones, rouvre les mêmes blessures, cherche d’autres chemins. Elle ne vise pas la guérison mais la création d’une oeuvre originale aux accents salvateurs.

Dans un livre autobiographique auquel elle se consacre pendant 12 années, « Faire semblant c’est mentir », Dominique Goblet nous fait sentir la morsure de l’humiliation de l’enfance. En contrepoint, elle publie ensuite avec sa fille Nikita Fossoul « Chronographie », un recueil de portraits que mère et fille font l’une de l’autre durant 10 ans, manières de se regarder, de s’envisager, de se reconnaître. De ce travail d’une vie, Dominique Goblet viendra nous parler pour clôturer ce congrès.  Dominique Goblet a réalisé l’illustration de ce congrès. Née en 1967 à Bruxelles, elle expose régulièrement peintures et sculptures en Belgique et à l’étranger. Ses techniques mixtes, ses influences multiples, sont mises au service d’une écriture graphique unique. Plusieurs fois nommée au Festival d’Angoulême, Dominique Goblet est élue présidente du Grand Jury en 2020. Cette même année, elle reçoit le Grand Prix Töpffer récompensant l’ensemble

de son oeuvre.

Le travail de Dominique Goblet, aussi riche que varié, puise dans chacun des médiums utilisés pour élargir les points de vue et réinventer constamment l’horizon des possibles de l’écriture graphique.