La vulnérabilité

Les institutions d’accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité et les professionnel·le·s qui travaillent en leur sein sont confronté·e·s, dans les démocraties libérales contemporaines, à un problème éthique en apparence redoutable : elles ont pour mission de répondre à la vulnérabilité des publics qu’elles accompagnent, tout en respectant la norme d’égalité qui encadre en principe les relations interpersonnelles.
Répondre à la vulnérabilité de l’autre suppose de reconnaître cette vulnérabilité, d’en évaluer les aspects et l’intensité, d’identifier ses causes au moins immédiates, enfin de proposer des modalités pratiques permettant de la surmonter.
Ce travail, comme la position institutionnelle qu’ils occupent, place les professionnel·le·s en position de pouvoir à l’égard de celles et ceux qu’ils accompagnent. Cette position de pouvoir s’ajoute à la position de vulnérabilité de ces derniers pour créer entre les professionnel·le·s et leurs publics une série d’inégalités : inégalité de pouvoir, d’autorité, de ressources, de prestige.

Dans ces conditions, le but ne peut être de respecter une égalité qui serait déjà donnée – précisément car celle-ci fait défaut. Il s’agit plutôt d’instituer l’égalité, sous la forme de l’égalité de voix, de la faire naître dans et par la relation, afin que celle-ci fonctionne effectivement comme le vecteur d’une autonomie (re) trouvée pour les personnes en situation de vulnérabilité. À quelles conditions et selon quelles modalités cette institution peut-elle alors advenir ? C’est à cette question que l’on s’intéressera ici, en insistant sur l’importance pour les professionnel·le·s et les institutions dans lesquelles ils et elles travaillent de cultiver trois dispositions : la réflexivité, la justice épistémique et la vulnérabilité épistémique.

Les défis auxquels les parents sont confrontés dans l’éducation des enfants s’ancrent, parfois, dans des contextes de vie complexes et précaires. Hormis la fragilité « psychique » de certains, ces contextes de vie peuvent ébranler la contenance familiale et les repères nécessaires à l’acquisition et au développement des compétences parentales.
Les nouvelles configurations familiales, la précarité, l’isolement, les parcours migratoires, les ruptures dans la vie affective, professionnelle, ... autant de
situations de vulnérabilité qui peuvent être dépassées par la prise en compte des ressources du parent, plus ou moins brutalement entravées.
Cela nécessite un étayage spécifique des professionnel·le·s, leur permettant d’identifier et de mobiliser les ressources de ces personnes en difficulté. Et placer ainsi leur « vulnérabilité capacitaire au coeur du soin » pour reprendre
la formule de Cynthia Fleury.
En tant que professionnel·le de l’écoute, accueillir les préoccupations du parent, en présence ou non de ses enfants consiste à être là, consistant, présent·e à l’autre, lui permettre de faire exister ses questions sans se sentir tenu·e d’y répondre. Accompagner son cheminement suppose d’accepter l’inattendu de ce qui survient, les malentendus, les pas de côté… qui participent à remettre du mouvement, de l’humain au coeur de l’épreuve.

La honte de soi, la honte d’appartenir, certaines blessures, le temps qui passe peuvent faire de nous des êtres particulièrement vulnérables. Cette vulnérabilité peut n’être que passagère ou au contraire s’inscrire durablement dans le déroulement d’une existence.

Nombreux sont les artistes, femmes et hommes, qui pour la surmonter l’ont mise en récit à travers leur œuvre. Nous évoquerons certains d’entre eux en ayant à l’esprit que cette créativité est susceptible de devenir une ressource pour nos patients lorsque ceux-ci doutent de pouvoir un jour trouver la force de faire face à cette fragilité qui les accompagne !

Il est difficile d’évoquer les violences conjugales sans penser aux souffrances et blessures qu’elles engendrent chez les victimes. Les violences psychologiques, physiques, le contrôle, l’emprise, entrainent des répercussions graves sur leur santé physique et psychique mais également sur leur fonctionnement social : anxiété, dépression, idées suicidaires, état de stress post-traumatique, baisse de l’estime de soi, problème de consommation, confusion mentale, absentéisme au travail... Le départ, la séparation même s’ils sont salutaires, peuvent pour certaines victimes entrainer de nouvelles fragilités. Les enfants vivant dans ces contextes ne sont pas épargnés. Dès leur plus jeune âge, exposés aux violences conjugales, un certain nombre d’entre eux vont présenter des blessures plus ou moins « criantes ». Alors, dans ces contextes de violences intrafamiliales, comment assortir le concept de vulnérabilité à l’auteur des violences, tant ce dernier est associé dans la représentation collective à « un chacal », « un hyène », « un vautour » … Derrière ce besoin de contrôle et de domination, quel être se cache ? Que masque-t-il ? Que cherche-t-il à faire taire ou à oublier ?

Il est bien difficile, au premier abord, d’associer la notion de vulnérabilité aux auteurs de violences sexuelles : les personnes vulnérables sont avant tout leurs victimes pourrait-on s’offusquer, et majoritairement des femmes qui plus est ; et lorsque l’on sait que l’immense majorité des agresseurs sexuels sont des hommes, l’équation paraît simple et sans appel. Si le propos ne contestera évidemment pas la réalité, il en tentera un approfondissement sur base du constat que dressent régulièrement les professionnels en charge du traitement des délinquants sexuels : si ces passages à l’acte se déroulent dans un contexte social de domination des hommes sur les femmes, il faut aussi les comprendre comme la conséquence d’enjeux spécifiques de la construction de l’identité sexuelle masculine qui fondent sa vulnérabilité intrinsèque et expliquent ses aléas parfois tragiques.
L’exposé visera, sur base de vignettes cliniques issues de la pratique clinique du conférencier, à illustrer cette thèse en en développant certains contours pour en permettre une compréhension utile et peut-être généralisable, au-delà de l’idéal de réhabilitation sociale du délinquant, au champ plus global, par exemple, de la socialisation des garçons ou de l’éducation sexuelle.

La vulnérabilité n’est pas la fragilité, et c’est pourtant bien par ce prisme que nous la considérons trop souvent. Or, dans une société de la compétition généralisée où la moindre faille devient un empêchement de soi, un frein à la réussite, la vulnérabilité est désormais une marque de faiblesse qu’il vaut mieux taire pour exister dans le regard de l’autre. Dans ces conditions particulières du lien social, la honte et la culpabilité ne sont jamais très loin d’écraser ceux qui se sentent vulnérables, et beaucoup d’entre eux préfèrent se réfugier dans le silence, s’éloignant des professionnels qui pourraient leur venir en aide. Mais comment se rencontrer quand la honte plane, quand les effets de destinées étouffent le désir d’être soi ? C’est à cette question que les professionnel·le·s doivent répondre au quotidien, même quand leur propre culpabilité d’être dans l’impasse s’en mêle.

Lors de cet exposé, l’intervenante se propose d’explorer les difficultés rencontrées par les familles demandeuses d’asile. Elle démontrera, ensuite, que le concept « donner à autrui », émanant de la thérapie contextuelle, constitue un levier thérapeutique permettant de répondre aux problématiques auxquelles sont confrontées ces familles.

Le Kintsugi désigne cet art japonais ancestral qui consiste à restaurer les céramiques brisées pour mettre leur histoire en valeur.
Cette intervention sera l’occasion de faire des allers-retours entre cette pratique traditionnelle et notre pratique d’accompagnant·e, d’aidant·e, de soignant·e, immanquablement faites de chocs, de blessures voire de brisures. Au cours de la conférence, nous découvrirons ainsi les différentes étapes du Kintsugi pour nous amener à penser notre pratique à la manière de ces objets restaurés.
Il nous sera donc proposé de porter attention à nos « échecs » et blessures professionnels pour les estimer à travers un processus centré sur leur mise en valeur et leur considération.

Protéger les vulnérables. Est-ce la bonne façon de faire ? C’est au nom de l’état de vulnérabilité dans lequel plongeait soi-disant le fait de tomber malade, que pendant si longtemps les médecins se sont autorisés à décider, sans les écouter, de ce qui était bien et bon pour leurs patients. Et c’est au nom de cette même vulnérabilité supposée que l’on s’autorise peut-être trop facilement, dans le domaine social, à protéger les individus contre eux-mêmes. En les enfermant, leur interdisant, les déresponsabilisant, les infantilisant. En décidant à leur place sans les écouter. Dans l’expérience de l’intervenante, beaucoup de ceux et celles qui sont confronté·e·s à des épreuves graves développent des capacités de résilience et d’autonomie à la mesure de ce que ces aléas de vie les ont rendus vulnérables. Et c’est avec ces capacités d’autonomie démultipliées qu’il faut apprendre à travailler. Aller au-delà de cette vulnérabilité supposée permet d’instaurer la confiance dans une relation redevenue égalitaire, qui rend à la personne concernée toute sa dignité.

Si le care est « l’ensemble des activités des soins, des services, dont nous avons besoin pour notre survie, notre bien-être et celui du monde dans lequel nous vivons », alors l’habitabilité de la Terre pour nous et des milliers d’autres espèces est au premier plan. Comment imaginer que nous ne sommes pas impacté·es par les effondrements écologiques d’aujourd’hui et de demain ?
Depuis les années 90, les écopsychologues se demandent ce qui conduit une partie de l’humanité à détruire les conditions de sa survie et ce que cette destruction engendre comme troubles psychiques.
De nouveaux mots apparaissent pour nommer des états de plus en plus présents : écoanxiété, solastalgie, collapsalgie, douleurs écologiques, syndrôme de manque de nature, écolucidité, … Même s’ils peuvent générer un mal-être intense, ces états sont à regarder avant tout comme la révélation d’une sensibilité écologique normale, voire souhaitable au regard des enjeux extrêmes dans lesquels nous nous trouvons.
Nous verrons que des pratiques (écopsychologie, écothérapie, …) se sont développées pour prendre soin de ces émotions pour la Terre, et deviennent motrices d’engagements divers, allant de la méditation pour la Terre à l’occupation de territoires en passant par des écogestes.

Ces accompagnements posent des questions-clés: rester dans les cabinets ou explorer le dehors ? Peut-on séparer la santé mentale de celle de la Terre et du fonctionnement social ? Peut-on rester neutre face à la destruction du vivant ? Sommes-nous assez lucides pour accompagner l’écolucidité ?

Le lien entre la maladie, grave et/ou chronique, et la vulnérabilité semble aller de soi : la maladie nous « rend » vulnérables, corps et âme rivés à la douleur et à l’angoisse, soumis à l’action médicale et à son incertitude, dépendants d’autrui, exposés aux inégalités sociales et aux rapports de domination. Cependant, la maladie ne rend-elle pas plutôt sensible et visible une vulnérabilité première et souvent occultée, liée à notre condition d’êtres vivants et interdépendants ?
Certains grands films de cinéma, mettant en scène des situations et des histoires liées à la maladie, comme Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda (1962) ou La Fille inconnue des frères Dardenne (2016), cultivent notre attention et notre compréhension pour les expériences spécifiques des personnes que la maladie « rend » vulnérables malades, proches et soignants. Les paroles et les silences, les regards et les gestes, les corps et les mondes aident à cerner ce qui importe pour ces personnes et à concevoir le soin dont elles ont besoin : individualisé et global, incluant mais excédant le traitement de la pathologie.
Cependant, plus largement, ces films inscrivent la vulnérabilité au coeur de nos vies et nous interrogent sur le monde et les relations morales que nous souhaitons construire - faisant de la vulnérabilité une ressource pour penser et agir.